Katia KURCEBA

Depuis le Quattrocento, et notamment depuis la publication de l'ouvrage De Pictura de Leon Battista Alberti, les règles de perspectives planimétriques régissent notre façon de faire de la peinture, de l'art, et plus généralement de voir le monde. Le tableau, jusqu'à la fin du 19ème siècle, devait être une "fenêtre ouverte sur l'histoire", c'est-à-dire qu'il devait donner une illusion de réalité. Aujourd'hui, le paradigme albertien de la fenêtre a été remplacé par un nouveau médium : l'écran. La toile picturale, médium de la vision depuis la Renaissance italienne, a cédé sa place à l'image écranique toute-puissante. Comment ce changement de paradigme a-t-il pu avoir lieu et quelles en sont ses conséquences ? L'étude du changement de paradigme de la vision devra aller de pair avec une étude du sentiment sublime provoqué traditionnellement par la vue d'une nature écrasante, infiniment grande et puissante. Le référent du sentiment sublime a changé : ce n'est plus la puissance de la nature sur l'homme qui rend le sentiment possible mais la puissance de l'homme sur la nature. Les images du réchauffement climatique deviennent propices à susciter en l'homme un sentiment semblable à celui du sublime. Mais comment est-ce possible, alors même que la condition d'existence du sentiment sublime est que le sujet qui en fait l'expérience doit être lui-même à l'abri du danger ? L'avènement de l'image en tant que nouvelle toile-fenêtre ne fait pas que briser le paradigme albertien, il le détourne : l'illusion de réalité permise par la toile albertienne devient une illusion de fiction. La réalité, avec l'image, ne paraît plus réelle. Le sentiment sublime est rendue possible face aux images de catastrophe par l'éloignement du réel, causé par la multiplication des écrans. En outre, la question d'une fascination pour l'effondrement, pour la chute, qu'elle soit au sens propre (le mouvement), ou au sens figuré (la chute des civilisations), devra être évoquée. Ressentir le sentiment sublime face aux images catastrophiques semble révéler quelque chose en nous, un fantasme secret, qui pourrait s'apparenter à celui de désirer sa propre chute, son propre effondrement.