Pour une interprétation médiévale de Rancho Notorious (1952)
Aristote, Phyllis et Fritz Lang
Auteur(s)
LUC VANCHERI
Sites de l'image
Du
7 novembre 2025
au
7 novembre 2025
Contact
Lieu
Turbulence
Horaire
16-18
Organisateurs
(Hors LESA)
Codification AERES
INV
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Mots clefs
Fichiers joints
Michela Passini disait des œuvres d’art qu’elles portent « un questionnement épistémologique sur les possibilités de se faire le pivot d’une histoire globale de la culture. » (L’œil et l’archive, 2017). Cette conclusion qui convient tout particulièrement au projet de l’iconologie warburgienne conserve, mutatis mutandis, son efficacité structurale lorsque les images considérées proviennent des films. En nous mettant au contact de savoirs disparus ou devenus énigmatiques, l’iconologie filmique nous a non seulement permis de comprendre que la documentation historique d’un film (les marques sociales de l’œuvre) ne coïncidait pas rigoureusement avec son archive philosophique, elle nous a aussi permis de prendre en compte les signatures épistémographiques qui gouvernent la vie des images.
Une courte scène tirée d’un film de Fritz Lang, Rancho Notorious (1952), me donnera l’occasion d’en préciser les enjeux analytiques. En m’arrêtant sur quelques plans de Marlene Dietrich chevauchant un cow-boy à genoux dans un western saloon, je souhaite interroger la survivance d’une formule iconographique qui s’est imposée à partir d’un fabliau médiéval
rédigé vers 1235 par Henri d’Andeli, le lai d’Aristote. Très populaire dès le XIIIᵉ siècle dans les formes de la peinture, de la gravure, de la tapisserie et de l’aquamanile, ce poème aux visées moralisatrices a connu une fortune littéraire quasi ininterrompue. Barthélemy Prosper Enfantin, père saint-simonien, ira même jusqu’à en donner une version ludique dans le tome IV du Petit savant de société, Le cheval d’Aristote. Si les adaptations modernes se sont débarrassées du débat scolastique qui entoure l’aristotélisme de saint Thomas d’Aquin, elles n’en ont pas moins conservé le modèle d’une misogynie médiévale qui condamnait la pratique sexuelle de l’equus eroticus. De Phyllis ridiculisant le précepteur d’Alexandre le Grand aux sorcières chevauchantes du Malleus maleficarum (Heinrich Kramer & Jacob Sprenger, 1486) s’est constituée l’image inquiétante d’une femme dangereuse et coupable de porter atteinte à l’ordre politique. Rapportée au film de Lang, nous verrons que la mort d’Altar Keane, loin de s’accorder aux valeurs sacrificielles de l’amour chrétien, concède la signature d’un antiféminisme médiéval.

